Compte-rendu GT Eco-Gestion, 17 mars 2016

Université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis
17 mars 2016 – 14h-18h

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Thématique – « L’incertitude / Uncertainty »

10 participant.e.s : Sophie-Hélène Cimon (Université Paris Diderot Paris 7), Fanny Domenec (Université Paris 2 Panthéon Assas), Marc Eline (Université Paris 2 Panthéon Assas), Mathilde Gaillard (Université Paris-Sorbonne), Laurence Harris (Université Paris Ouest Nanterre La Défense), Philippe Millot (Université Jean Moulin Lyon 3), Jacqueline Percebois (Aix-Marseille Université), Aurore Portet (IAE Lyon, Université Jean Moulin Lyon 3), Catherine Resche (Université Paris 2 Panthéon Assas), Séverine Wozniak (Faculté d’économie, Univ Grenoble Alpes)

Excusé.e.s : Emmanuelle Pensec (Université Bretagne Sud), Marc Pilkington (Université de Bourgogne)

Après un tour de table où chaque intervenant.e se présente, Séverine Wozniak ouvre la séance à 14h25 en rappelant le déroulement de l’après-midi de travail. Le déroulé de la réunion est modifié du fait des perturbations induites par le blocage partiel de l’université. L’organisation de l’atelier « anglais de spécialité » lors du prochain colloque de la SAES et des deux ateliers coordonnés par des collègues du GERAS lors du prochain colloque de ESSE (22 au 26 août 2016 à Galway) sont évoqués.

14h30-15h30 – Thématique : Uncertainty

1. Catherine Resche
Catherine Resche nous propose un voyage à travers les termes qui évoquent la question de l’incertitude en économie. En effet, à partir de la terminologie, on peut aborder différentes notions avec les étudiant.e.s. Elle amorce sa réflexion à partir de l’acronyme VUCA (Volatility, Uncertainty, Complexity and Ambiguity) qui trouve son origine dans le discours militaire et qui définit la situation géopolitique mondiale à l’issue de la guerre froide. Cet acronyme peut également se développer de la façon suivante : Vision, Understanding, Clarity, Agility. Sa réflexion l’amène ensuite à faire un rappel sur la notion de Black Swan, qui trouve sa source dans l’ouvrage de Nassim Nicholas Taleb (Black Swans, The Impact of the Highly Improbable, 2007, New York: Random House). Il s’agit de définir ou de tenter de prévoir ce à quoi nous devons nous préparer, dans un contexte où l’évolution de la norme est de plus en plus rapide (Christine Lagarde parle en 2014 de new normal). Le dernier terme analysé est un amalgame : ChaOrd. Le chaos en fait, tel qu’il est conçu ici, est le point de départ d’un ordre nouveau, qui nécessite d’être souple et adaptable, de penser la complexité différemment.

2. Jacqueline Percebois
Jacqueline Percebois a travaillé sur l’expression des incertitudes liées au changement climatique à partir de la Guidance Note  1 for Lead Authors 2  of the IPCC Fifth Assessment Report on Consistent Treatment of Uncertainties (2010). Ces notes, destinées à aider les auteurs principaux du Fifth Assessment Report (AR5 ) 3 de 2014, sont l’œuvre d’un cross working group, groupe de travail transversal, et d’un cross working group meeting, une réunion inter groupes de travail. Elles fixent aux trois groupes de travail constitués d’experts scientifiques « a common approach and calibrated language », avec cinq niveaux de confiance dans la validité des prévisions et dix niveaux théoriques d’une échelle de probabilité des résultats (tableaux ci-dessous4 ). Toutefois, Jacqueline Percebois note que le texte même du AR5 ne contient pas d’occurrence des qualificatifs virtually certain, about as likely as not, unlikely, very unlikely, extremely unlikely, exceptionally unlikely.

Calibrated uncertainty language et uncertainty qualifiers sont des mots clés de cette terminologie.

Confidence Terminology     Degree of confidence in being correct 
Very high confidence     At least 9 out of 10 chance  
High confidence     About 8 out of 10 chance 
Medium confidence     About 5 out of 10 chance 
Low confidence     About 2 out of 10 chance 
Very low confidence     Less than 1 out of 10 chance 

Likelihood Terminology     Likelihood of the occurrence/ outcome  
Virtually certain     > 99% probability 
Extremely likely     > 95% probability  
Very likely     > 90% probability 
Likely     > 66% probability 
More likely than not     > 50% probability 
About as likely as not     33 to 66% probability 
Unlikely     < 33% probability 
Very unlikely     < 10% probability 
Extremely unlikely     < 5% probability 
Exceptionally unlikely     < 1% probability 

15h30-17h – Thématique : Uncertainty

 

3. Fanny Domenec
Fanny Domenec nous propose la synthèse d’un travail de recherche présenté en octobre 2015 lors d’un colloque tenu à Bergen portant sur l’évolution de la notion de scénario pour traiter des prévisions concernant les incertitudes liées au réchauffement climatique à partir de l’analyse d’un corpus de neuf Shell Scenarios (ce sont des modèles de scénarios pour le monde de l’entreprise qui constituent un corpus déjà analysé par la recherche en management). Les scénarios, outils de positionnement et de prospective internes devenus outils de communication externes de l’entreprise, sont en effet des instruments précieux pour la communication de cette dernière. Afin de répondre à l’évolution de la connaissance sur le changement climatique (depuis une relative incertitude vers la certitude de l’existence de problèmes environnementaux), Shell a adapté la forme et le contenu de ses scénarios. Fanny Domenec note une augmentation très nette de la présence des termes liés à l’environnement et au changement climatique dans ces scénarios, en référence à la gestion de l’incertain. Ses conclusions sont éclairantes en termes de stratégie du discours mais aussi pour l’analyse du scénario comme genre, les scénarios devenant peu à peu des hybrides des genres traditionnels du discours de l’entreprise.

4. Marc Eline
Marc Eline présente le thème du Financement de Projets (FP) qu’il utilise avec ses étudiant.e.s de master à l’Université Paris 2 Panthéon Assas. Ce thème est d'actualité en raison des difficultés budgétaires de certains Etats qui ont recours au FP ou à des approches voisines telles que la concession (autoroutes etc.). Ces deux pages, intitulées « Project Financing: Transfer of Risk », ont été rédigées par le trésorier adjoint du groupe Shell : il y explique en quoi consiste le FP et comment réduire l’exposition du groupe face à l’incertitude liée à ce type d’activités. Ces projets concernent à la fois des dispositifs très encadrés (construction d’un lycée dans le cadre d’un partenariat public-privé) et des projets menés dans des contextes beaucoup plus incertains (installation d’un site de production de gaz liquéfié par exemple ou bien développement d’une offre totalement novatrice : Disneyland Paris ou bien EuroTunnel). Sur l’ensemble de ce spectre, on peut dupliquer dans des contextes nationaux différents. La stratégie d’entreprises comme Shell dans le cadre de FP est de rechercher des partenaires afin de partager le risque, en créant une structure ad-hoc (special purpose company), qui porte l’ensemble du projet. En fait, ce sont surtout les banques qui s’engagent dans ces structures : elles prennent un risque sur le projet lui même et doivent mener une analyse de risque et des incertitudes car Shell (maison mère et sponsor) n’est ni emprunteur, ni garant.

5. Laurence Harris et Séverine Wozniak
Laurence Harris et Séverine Wozniak débutent leur intervention par un rappel de la citation de Frank Knight :

[…] Uncertainty must be taken in a sense radically distinct from the familiar notion of Risk, from which it has never been properly separated. The term “risk,” as loosely used in everyday speech and in economic discussion, really covers two things which, functionally at least, in their causal relations to the phenomena of economic organization, are categorically different. […] The essential fact is that “risk” means in some cases a quantity susceptible of measurement, while at other times it is something distinctly not of this character; and there are far-reaching and crucial differences in the bearings of the phenomenon depending on which of the two is really present and operating. There are other ambiguities in the term “risk” as well, which will be pointed out; but this is the most important. It will appear that a measurable uncertainty, or “risk” proper, as we shall use the term, is so far different from an unmeasurable one that it is not in effect an uncertainty at all. (Knight, F. H. 1921. Risk, Uncertainty, and Profit. Boston (MA) : Hart, Schaffner & Marx; Houghton Mifflin, 19-20).

Le travail de recherche doctorale de Laurence Harris porte sur les communiqués de la Banque D’Angleterre de 1946 à 2016. Elle s’intéresse pour cette session de travail à la gestion de l’incertain dans ces discours. En utilisant l’article de Catherine Resche (Hedging across genres: An approach for non-native students of English for Economics, ASp, 27-30, 2000, 289-308), Laurence Harris analyse son corpus en étudiant plus particulièrement la modalité épistémique, les métaphores, la mise en récit, l’usage de la phrase impersonnelle et des pronoms, les quantifieurs vagues (évoquant une forme d’approximation), le bornage temporel, les références et citations, les renvois et notes de bas de page ainsi que la structuration des communiqués (alternance d’arguments positifs et d’arguments négatifs).

Le thème de l’incertitude en économie permet d’aborder avec les étudiant.e.s une page de l’histoire de la pensée économique au XXe siècle, à savoir l’opposition entre les économistes post-keynésiens et les représentant de l’École de Chicago à la fin des années 1970 et à l’orée des années 1980, marquées par l’arrivée au pouvoir de Margaret Thatcher au Royaume-Uni et de Ronald Reagan aux États-Unis. Dans ce cadre, Séverine Wozniak signale une source exploitable avec les étudiant.e.s : The Age of Uncertainty, série télévisuelle produite par la BBC dans les années 1970 et l’ouvrage éponyme de John Kenneth Galbraith publié en 1977 (The Age of Uncertainty. Boston (MA) : Houghton Mifflin). Les vidéos se trouvent en ligne, et elles peuvent servir de référence, par exemple l’épisode 6, intitulé « The Rise and Fall of Money » : <https://www.youtube.com/watch?v=McW2aFpJxsM>. 

6. Aurore Portet

Aurore Portet s’interroge sur la façon de former les étudiant.e.s à l’incertitude. Pour les étudiant.e.s en effet, les incertitudes concernent leur niveau de connaissance du domaine spécialisé et une partie de leur formation vise à s’approprier les méthodes pour quantifier les aléas afin de les transformer en risques, quantifiables et maîtrisables. Elle souligne donc les aspects pédagogiquement exploitables dans ce domaine dans le cadre du cours d’anglais de spécialité, en prenant pour exemple un cours de master « Systèmes d’information » offert à l’IAE de l’Université Lyon 3 et rassemblant des publics très différents dans leur approche de la gestion du risque et de l’incertitude : développeurs avec une formation technique et chefs de projet avec une formation en management. La mesure de l’inconnu et de l’incertitude doit être faite pour la mise en place d’un projet, grâce, par exemple, aux méthodes de management du risque utilisées par les professionnels aussi bien aux USA qu’en France. Leur étude permet de familiariser les étudiant.e.s avec la terminologie et les différentes méthodologies de gestion du risque (cf document sur la méthode SQA http://www.software-quality-assurance.org/ et webinar de la Carnegie Melon University sur la méthode Mosaic http://www.sei.cmu.edu/webinars/view_webinar.cfm?webinarid=18646).  Mais former à la gestion du risque ne suffit pas, il faut aussi apprendre aux étudiant.e.s à intégrer l’incertitude comme un paramètre incontournable de leur future profession, et, en tant qu’enseignant.e de langue, leur donner une perspective internationale et leur montrer que dans le monde post-Enron et post-crise des subprimes, le risque zéro n’existe pas, et n’est pas souhaitable. Le deuxième exemple d’application pédagogique est celui des experts-comptables et des auditeurs, pour les étudiant.e.s en Master CCA, à partir d’un sketch du Monthy Python’s Flying Circus (« Vocational Guidance Counsellor/The League for Fighting Chartered Accountancy » : <https://www.youtube.com/watch?v=bNARNsIHzvQ>). Ce sketch permet d’aborder par le biais de l’humour les stéréotypes associés à la profession ainsi que les aspects très formels et ritualisés de ce corps professionnel. La discussion se poursuit alors sur les normes existantes, sur les différences entre les normes françaises et américaines, et sur l’importance de l’intégration de l’incertitude dans les différents exercices comptables (document : table ronde de la SEC, « Uncertainty in Financial Reporting: How Much to Recognize and How Best to Communicate It »)

Prochaine réunion du GT : 9 septembre 2016 à l’ENS Cachan. Chaque participant.e est invité.e à contribuer au travail collectif sur la thématique retenue. Les contributions peuvent être faites selon la forme souhaitée (réflexion sur la formation en anglais de spécialité des étudiants d’économie et de gestion, application pédagogique, document écrit, oral, approche terminologique, etc.).

La séance est levée à 18h.

  


1 https://www.ipcc.ch/pdf/supporting-material/uncertainty-guidance-note.pdf. Note d’orientation sur le traitement cohérent des incertitudes destinée aux auteurs principaux du 5ème Rapport d’Evaluation du GIEC (RE5). Il n’existe pas de version française de ce document.
2. « Auteurs principaux » ou « coordonnateurs » selon les sources françaises officielles
3. Le Sixth Assessment Report, AR6, devrait être publié en 2020-2021,  https://www.ipcc.ch/news_and_events/pdf/press/160414_pr_p43.pdf
4. https://www.ipcc.ch/publications_and_data/ar4/wg1/en/ch1s1-6.html