Compte-rendu GT Eco-Gestion  07/09/2018

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Université Paris 2 Panthéon Assas - Vendredi 7 septembre 2018

Thématique "Empowerment and/or Leaning in"

8 participant.e.s : Fanny Domenec (Université Paris 2 Panthéon Assas), Marc Eline (Université Paris 2 Panthéon Assas), Laurence Harris (Université Paris Nanterre), Patricia Noël (Université Paris-Est Créteil), Catherine Resche (Université Paris 2 Panthéon Assas), Michel Van der Yeught (Aix-Marseille Université), Nathalie Vanfasse (Aix-Marseille Université), Séverine Wozniak (Faculté d’Économie de Grenoble, Université Grenoble Alpes)

Excusé.e.s : Valérie Baisnée (IUT de Sceaux), Catherine Coron (Université Paris 2 Panthéon Assas), Pascal Cudicio (Université Paris 2 Panthéon Assas), Mathilde Gaillard (Université Paris Nanterre), Jacqueline Percebois (Aix-Marseille Université)



Thématique "Empowerment and/or Leaning in"

Séverine Wozniak ouvre la séance en rappelant le déroulement de l’après-midi. Pour cette séance de travail, nous avons choisi de parler de decision-making.

1.    Séverine Wozniak et Marc Eline : Lean In: Women, Work and the Will to Lead

Dans leurs interventions, Séverine Wozniak et Marc Eline présentent l’ouvrage de Sheryl Sandberg, Chief Operating Officer de Facebook, publié en 2013 et intitulé Lean In: Women, Work, and the Will to Lead. En introduction, Séverine Wozniak présente un TED Talk de Sheryl Sandberg, “Why we have too few women leaders”, mis en ligne en 2010. Dans cet exposé, jalonné d’anecdotes portant sur sa propre vie professionnelle, Sandberg donne des conseils aux femmes afin de leur permettre de s’affirmer dans la sphère professionnelle. Marc Eline poursuit la présentation en résumant les principaux arguments de l’ouvrage de 2013 et en proposant une réflexion permettant d’aborder avec les étudiants la question de la situation des femmes cadres en entreprises, afin de les amener à réfléchir sur ce qui peut concrètement être mis en œuvre pour faire évoluer cette situation. Dans son livre, Sheryl Sandberg, identifie trois facteurs clefs expliquant les difficultés rencontrées par les femmes :

  1.  l’inertie et le poids de l’histoire (elle remarque que la situation est encore pire pour les femmes noires),
  2.  les barrières externes : à la différence des hommes, les femmes doivent faire leurs preuves (Marc Eline mentionne une étude McKinsey de 2011 qui montre que les hommes sont promus sur la base de leur potentiel et les femmes sur la base de leurs réalisations.
  3. les barrières internes : manque de confiance en soi et d’agressivité, manque d’ambition exprimée et mise en œuvre, manque de soutien des partenaires dans la vie de famille. Sheryl Sandberg remarque que les femmes se fixent bien souvent des standards et des objectifs trop élevés (« doing it all ») et ont intégré inconsciemment les représentations médiatiques de la femme qui assume une position de cadre (« bad mothers with a briefcase »).

Mais ceci représente un coût élevé pour la société et les entreprises, alors comme initier un changement ? Outre le nécessaire travail sur le rôle des hommes dans la sphère privée, en tant que pères et que partenaires, Sandberg suggère de promouvoir et de développer des recherches permettant d’avoir une meilleure connaissance du problème (études Women in the Workplace conduites par le cabinet McKinsey) afin de faciliter une prise de conscience individuelle. Le facteur réseau est également essentiel pour réussir et il apparaît que les femmes sont souvent bien moins impliquées que les hommes dans les réseaux professionnels. Suite à la parution et au succès de son livre, plus de 40 000 « Lean In Circles », dont la mission est « to empower women to achieve their ambitions », ont été créés dans plus de 160 pays.

Références
- Sheryl Sandberg, « Why we have too few women leaders », TED Talk , 2010.
- Sheryl Sandberg, Lean In: Women, Work, and the Will to Lead, New York : Knopf Doubleday Publishing Group, 2013.
- « Maybe You Should Read the Book : The Sheryl Sandberg Backlash », The New Yorker, 4 mars 2013.
- « Lean In : Women, Work, and the Will to Lead by Sheryl Sandberg – Review », The Guardian, 13 mars 2013.
- Joanna Barsh, Lareina Yee, Special Report : Unlocking the Full Potential of Women in the U.S. Economy, McKinsey & Company, avril 2011.


2.    Laurence Harris : Le concept de lean in dans le monde de l’économie

Laurence Harris aborde la question de la sous-représentation des femmes dans la profession d'économiste et dans le monde de la finance dans les pays anglo-saxons. Elle commence par rappeler qu’Elinor Ostrom est la seule femme à avoir reçu le « Prix Nobel d’Économie », prix qu’elle a obtenu conjointement avec Oliver Williamson en 2009. Janet Yellen, première et seule femme à avoir présidé le Conseil des gouverneurs de la Réserve fédérale américaine, s’est exprimée sur la question de la place des femmes dans le monde de l’économie en mai 2017, dans le cadre d’un discours donné à Brown University. Laurence Harris résume ensuite trois articles publiés dans le New York Times entre 2015 et 2017 portant sur la place des femmes dans la communauté des économistes. Il apparaît que seules 19% des économistes sont des femmes, et que ces dernières choisissent souvent de se spécialiser dans des thématiques de recherche particulières. L’article intitulé « Evidence of Toxic Environment for Women in Economics » fait référence à une étude menée par Alice Wu traitant des termes péjoratifs, voire vulgaires, fréquemment utilisés pour faire référence aux femmes sur un site de recherche d’emplois utilisé pour les économistes aux États-Unis.

Références
- Alice Wu, « Gender Stereotyping in Academia : Evidence from Economics Job Market Rumors Forum », 2017.
- Janet Yellen, « So We All Can Succeed : 125 Years of Women’s Participation in the Economy », 2017.
- « Even Famous Females Economists Get No Respect », The New York Times, 11 novembre 2015.
- « When Teamwork Doesn’t Work For Women », The New York Times, 8 janvier 2016.
- « Evidence of Toxic Environment for Women in Economics », The New York Times, 18 août 2017


3.    Michel Van der Yeught : Georg Simmel et l’argent comme moyen de l’empowerment

Michel Van der Yeught commence par s’interroger sur la signification du terme empowerment, qui peut à la fois faire référence au fait de rendre puissant et au fait de devenir puissant. Il prend cette réflexion comme point de départ à sa présentation du travail de Georg Simmel, sociologue allemand (1858-1918) en poste à Strasbourg. Si Simmel n’a pas réellement été reconnu par sa communauté, sa Philosophie de l’argent (1900) est pourtant un ouvrage qui a marqué son temps. Au chapitre 4, Simmel évoque le rapport entre l’argent et la liberté, arguant que l’argent est en fait un facteur de liberté. Selon lui, les inégalités économiques aboutissaient historiquement à l’assujettissement social des individus, qui étaient de fait privés de liberté (les esclaves étaient des biens, le corps des serfs était attaché à la terre). Cette forme d’assujettissement, initialement supportée par les corps (somatisée) a été transformée au cours de l’histoire en don de produits (une certaine portion des récoltes par exemple), puis en argent, qui permet de donner une valeur monétaire au produit donné. Dans cette perspective, l’argent permet d’éviter l’assujettissement somatique : il a donc bien été un facteur d’empowerment, puisqu’il a permis plus de liberté. Les obligations au début subjectives sont devenues de plus en plus objectives, au sens littéral du terme. Finalement, on peut se demander si l’empowerment n’est pas la possibilité de proposer un avatar essentialisé permettant aux individus de prendre le pouvoir activement. Cette réflexion théorique peut être utile si on considère le discours contemporain sur l’aide au développement par exemple, ou bien le discours produit dans le cadre des projets d’occupation et d’autogestion d’usines.

Référence
- Georg Simmel, The Philosophy of Money, Oxford : Routledge Classics, [1900] 2011.


4.    Nathalie Vanfasse : George Eliot précurseur du lean in ? Le cas de Middlemarch

Nathalie Vanfasse nous présente une lecture possible du roman Middlemarch (1871-1872) écrit par George Eliot, notamment au travers de l’analyse de la destinée de deux sœurs : Dorothea et Celia Brooke. En effet, le contraste entre l’évolution de ces deux personnages permet de mettre en lumière le pouvoir de la femme au sein de la sphère domestique à l’ère victorienne. Ainsi, le personnage de Dorothea Brooke souhaite s’émanciper par l’acquisition d’un pouvoir intellectuel, sous la forme de connaissances scientifiques. Elle trouve finalement des solutions pour s’impliquer socialement et s’améliorer intellectuellement en investissant le domaine de l’économie politique. Ainsi, elle épouse un scientifique et met en place une véritable réflexion économique : elle souhaite reconstruire les logements des métayers qui travaillent sur son domaine. Son projet est à la fois éthique et économique. Il est également esthétique (la romancière s’appuie sur les travaux de John Ruskin, tel que The Political Economy of Art publié en 1857). Du point de vue de l’analyse économique, ce projet s’inscrit dans le mouvement plus large des enclosures visant à convertir l’agriculture britannique à l’agriculture moderne. Middlemarch peut aussi être lu comme une illustration d’une certaine forme de pouvoir féminin dans la sphère domestique, visible par exemple dans des manuels comme celui d’Isabella Beeton (Mrs Beeton’s Book of Household Management, publié en 1861), qui inclut des questions juridiques liées au milieu domestique et de connaissances médicales élémentaires, notamment afin d’enseigner aux maîtresses de maison à prendre en charge leurs enfants malades. Ces manuels proposant une forme de vulgarisation de l’économie et écrits par des femmes étaient très répandus au XIXe siècle (voir Harriet Martineau ou Jane Marcet).

Références
- Mrs Beeton’s Book of Household Management : Abridged Edition, Oxford : Oxford World’s Classics, [1861] 2008.
- George Eliot, Middlemarch, Londres : Penguin Black Classics, [1871-72] 2003.
- Jane Marcet, John Hopkins's Notions on Political Economy, 1833 .
- Harriet Martineau, Illustrations of Political Economy. Peterborough, Ontario (Canada): Broadview Editions, [1834] 2004
- John Ruskin, The Political Economy of Art : Being the Substance (With Additions) of Two Lectures Delivered at Manchester, July 10th and 13th, 1857, Londres : Forgotten Books, 2017.


5.    Catherine Resche : Les notions d’empowerment et d’holacracy dans les organisations

Pour sa présentation, Catherine Resche se fonde sur le concept central d’empowerment, qui vise à faciliter l’autonomisation et de donner les moyens de cette autonomie. Elle rappelle l’intérêt des travaux de Muhammad Yunus, Prix Nobel de la Paix en 2006 pour son projet, la Grameen Bank. L’empowerment trouve aussi une déclinaison dans les diverses stratégies permettant de donner au consommateur la possibilité d’être partie prenante de sa consommation, en participant par exemple à l’élaboration des produits qu’il achète (il devient alors prosumer ou consommacteur à la fois consumer et producer). L’empowerment s’applique bien évidemment également dans le champ du management des organisations, à la croisée de la théorie X (il faut montrer de l’autorité dans la hiérarchie si l’on considère que les employés et ouvriers ne sont pas, par nature, très motivés par le travail) et de la théorie Y (les employés sont motivés s’ils se sentent reconnus) de Douglas McGregor. Catherine Resche mentionne également les travaux de Rosabeth Moss Kanter, professeur à la Harvard Business School, qui a étudié les mécanismes de l’empowerment dans les entreprises et a montré que l’entreprise est productive quand tous les employés sont en mesure de prendre des décisions. Au début du millénaire, Brian Robertson met en place dans son entreprise de logiciels une forme d’organisation décentralisée, centrée plutôt sur des tâches que sur des personnes et impliquant l’autonomie des équipes (holacracy). Cependant, les critiques des techniques d’empowerment sont nombreuses. Dans son article de 1998, Chris Argyris soutient que l’empowerment ne fonctionne pas si cette forme d’implication (commitment) est imposée par la hiérarchie (dans son article, il distingue deux formes de commitment : internal commitment, celui qui est imposé par la hiérarchie, et external commitment que l’employé s’impose à lui-même). Enfin, l’exemple des choix faits par le CEO de Zappos, Tony Hsieh, illustrent les limites de l’empowerment dans l’entreprise : après une période de réorganisation fondée sur une nouvelle technique de gestion, sans managers, visant à promouvoir, par plus de flexibilité et d’agilité, la créativité et l’audace entrepreneuriale de ses employés, il a finalement décidé d’abandonner ce type d’organisation.

Références
- Chris Argyris, « Empowerment : The Emperor’s New Clothes », Harvard Business Review, mai-juin 1998.
- Rosabeth Moss Kanter, Men and Women of the Corporation, New York : Basic Books, 1977.
- Rosabeth Moss Kanter, When Giants Learn to Dance : The Definite Guide to Corporate Success, New York : Simon & Schuster, 1990.
- Douglas McGregor, The Human Side of Entreprise, New York : McGraw-Hill, 1960.
- Thomas W. Malone, 1998, « Is Empowerment Just a Fad ? Control, Decision Making, and IT », Sloan Review, hiver 1997.
- Bill Taylor, « Why Zappos Pays New Employees to Quit », Harvard Business Review, 29 mai 2008.
- « Lessons We Can All Learn From Zappos CEO Tony Hsieh », The Guardian, 14 mars 2013.
- « Can a Company Be Run as a Democracy ? », Wall Street Journal, 23 avril 2007.


6.    Fanny Domenec : Empowerment dans les entreprises : exemples d’applications pédagogiques

Fanny Domenec reprend la genèse de l’utilisation du terme empowerment, notamment dans le domaine du développement (à partir d’un article d’Anne-Emmanuèle Calvès publié dans la Revue Tiers-Monde). Ensuite, elle nous propose un éclairage sur la réflexion portant sur les entreprises « Agile » et sur l'articulation entre l’autonomie des équipes et l’autorité du manager, à partir d’un article publié dans le McKinsey Quarterly au mois de juillet 2018, qui établit la distinction entre : the empowering executive, the independent team, the enabling manager. On remarque ici l’accent mis sur le rôle du manager comme « facilitateur », plutôt que comme supérieur hiérarchique. L’indépendance de l’équipe passe également par l’accès direct à des ressources allouées en amont, sans avoir besoin de faire des demandes à chaque étape du projet. Fanny Domenec nous présente ensuite plusieurs possibilités d’application didactique sur ce thème : un travail à partir d’une vidéo (« A Woman Discovers the Wage Gap ») et d’un billet publié en juin 2018 par Celia Huber sur le blog du McKinsey Quarterly (« Common excuses for not appointing women to boards - and what to do about them »). Il s’agit d’engager les étudiants à réfléchir aux raisons communément invoquées pour justifier l’absence de femmes ou de personnes issues des minorités à des postes à responsabilités, afin d’avoir connaissance de ces questions dans leur future pratique professionnelle.

Références
- Oliver Bossert, Alena Kretzberg, Jürgen Laartz, « Unleashing the power of small, independent teams », McKinsey Quarterly, juillet 2018.
- Anne-Emmanuèle Calvès, « Empowerment » : généalogie d’un concept clé du discours contemporain sur le développement, Revue Tiers-Monde, n°200, 2009, 735-749.
- Celia Huber, « Common excuses for not appointing women to boards - and what to do about them », McKinsey .


Prochaine réunion du GT : le 21 mars 2019, à l’Université Paris 2 Panthéon Assas, dans le cadre du prochain colloque du GERAS.

La séance est levée à 17h.