GT Eco-Gestion GERAS

18 mars 2021 14 h-16 h

 

Covid-19 aspects micro- et macroéconomiques

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Présents : Valérie Baisnée, Fanny Domenec, Marc Éline, Mathilde Gaillard, Laurence Harris, Dina Moinzadeh, Catherine Resche, Inesa Sahakyan, Michel Van der Yeught, Séverine Wozniak.

Excusées : Olimpia Courtin-Varga, Jacqueline Percebois.

 

Les membres du GT commencent à travailler à 14 h.

Fanny Domenec accueille les membres présents et propose un tour de table pour que tout le monde se présente. Elle rappelle le thème du jour, « Covid-19 : aspects micro- et macro-économiques », et organise la prise de parole.

 

Séverine Wozniak prend la parole et mentionne un podcast qui date de 2011, sur les dons aux associations suite à la crise de 2008 [1]. Les étudiants avec lesquels elle a travaillé sur ce document ont fait le lien avec la crise du Covid. Le deuxième document étudié est lié à la position de certaines personnes sur les vaccins : The Conversation, octobre 2020. Les étudiants ont fait le lien avec le positionnement de l’industrie pharmaceutique. C’est un texte intéressant pour commencer la conversation. Les autres documents portent sur la prise de position des candidats pendant la présidentielle. Un autre document est centré sur les politiques britanniques. La troisième thématique porte sur l’évaluation des politiques sociales. Séverine Wozniak fait référence à deux documents. Le premier a été publié sur The Conversation le 2 février 2021 et porte sur les Food Banks. Le second aborde la façon de gérer les conséquences de la crise sanitaire et de la pauvreté sur les enfants. Enfin, avec ses étudiants en Master MEEF (Métiers de l’Enseignement, de l’Éducation et de la Formation), Séverine Wozniak a travaillé sur les conséquences de la fermeture des écoles.

 

Marc Éline choisit de partager sa réaction le 23 janvier 2020 : l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a choisi de ne pas déclarer le Covid comme situation d’urgence à l’échelle internationale (voir les communiqués de l’OMS en janvier). Marc Éline s’interroge sur l’incapacité de certains organismes, dont de très importants, à interpréter les « signaux faibles ». Marc Éline établit ici un parallèle avec les agences de notation. Il remarque que ces signaux faibles sont aussi importants pour les entreprises (alternative data, changement disruptif, qui peut les impacter).

Marc Éline précise que l’OMS a été informée fin décembre. Le problème des organismes très forts est leur réaction dans une situation qui réclame la prudence. Les communiqués montrent la prudence et la délicatesse avec laquelle ils traitent la Chine. Selon Marc Éline, le problème des organismes experts est que leurs décisions sont binaires. Il fait référence aux réflexions dans les communiqués de l’OMS sur le fait qu’il faudrait trouver un statut intermédiaire en cas de situation à traiter dans l’urgence.

Michel Van der Yeught précise que ce stade intermédiaire relèverait du hedging (précautions oratoires). L’aspect binaire se retrouverait peut-être dans la réaction populiste qui veut catégoriser et qui serait comparable à une présomption de culpabilité.

Marc Éline revient sur le lien entre crise et innovation. Les signaux faibles sont très intéressants parce qu’ils permettent d’anticiper les crises éventuelles et d’en sortir par l’innovation.

SITRA est un micro-fonds finlandais, à base de fonds souverains, monté par le gouvernement finlandais. C’est à la fois un fonds d’investissement, une société de conseil et un think tank. Quelques articles ont été publiés sur les signaux faibles, terme créé par Igor Ansoff. Les caractéristiques d’un signal faible sont un caractère novateur (nouveau ou nouvelle perspective sur sujet connu) ; surprenant (problème pour les interprètes) ; « challenging » (remettre en question les hypothèses adoptées) ; difficile à détecter ; significatif (impact important) ; incluant une notion de délai, retard, décalage (pas significatif dans l’immédiat mais besoin de temps pour mûrir). Pour les futurs managers, il y a urgence à savoir détecter les signaux faibles et pas seulement à réagir dans l’urgence.

Marc Éline partage la référence à un article publié par l’Imperial College : « Finding weak signals for the future ».

 

Michel Van der Yeught explique qu’en linguistique, le bruit linguistique désigne une notion qui n’a pas de sens. Comment faire la différence entre « signaux faibles » et « bruit » ? L’invasion du Capitole début janvier 2021 était-elle un signal faible ou un bruit ? Catherine Resche pose également la question d’un cygne noir qui ne serait pas noir.

 

Pour Marc Éline, ces événements appartiennent à la même famille mais ne désignent pas la même chose.

 

Mathilde Gaillard précise que beaucoup de think tanks ont fait des séries « spécial Covid », sur une base hebdomadaire et ont lancé leur propre podcast (Brookings, Dollars and Sense)

Avec ses étudiants, elle travaille sur la description de graphiques pour introduire les éléments extérieurs à l’entreprise et comment l’entreprise peut s’adapter à des éléments qu’elle ne contrôle pas. Depuis l’élection de Donald Trump, les think tanks essaient de rendre leur contenu beaucoup plus accessible.

 

Catherine Resche prend ensuite la parole et commence par souligner sa frustration car il lui semble qu’elle n’a rien appris concernant l’impact du Covid sur le management des entreprises. Elle se concentre donc sur la notion d’ultracrépidarianisme, un synonyme de « cuistrerie ». Il s’agit du fait de parler de ce que l’on ne connaît pas. L’origine du terme est latine et remonte à une critique de l’art par un cordonnier d’après une anecdote rapportée par Pline l’Ancien. Catherine Resche pense que cette notion est applicable aux nombreux sondages sur le Coronavirus et les vaccins menés dans la rue. Seul un pourcentage infime de gens interrogés ont dit qu’ils ne pouvaient pas parler de ce qu’ils ne connaissaient pas. Elle rapproche cette attitude de celle des enseignants qui ne veulent pas dire ce qu’ils ne savent pas. Selon Catherine Resche, le danger réside dans un possible parallèle avec les chercheurs : les médias ne comprennent pas toujours qu’il ne faut pas chercher à tout prix.

 

Michel Van der Yeught confirme avoir croisé ce mot et l’associerait peut-être au point/loi de Godwin : la théorie d’un avocat américain qui dit qu’à un point du débat, Hitler va être évoqué pour avoir raison (cf. discussions sur le genre, le néocolonialisme, etc.). Cela fait partie de la doxa du débat.

 

Fanny Domenec propose une intervention sur le thème de la Crise du Covid19 comme introduction à des cours d’anglais pour la finance et d’anglais pour le commerce et management international. Elle commence par décrire une activité de synthèse de documents effectuée avec les étudiants à partir de 4 graphiques[2] tirés de McKinsey Quarterly. Cette activité vise à permettre aux étudiants d’identifier les principales caractéristiques de ce que les experts de McKinsey nomment le Next Normal (en référence au New Normal après la crise de 2008). Des graphiques présentant des données par secteur d’activité (grande distribution, tourisme, informatique) permettent de mieux saisir les impacts contrastés de la crise sur l’économie.

Une vidéo [3] publiée par The Economist est ensuite proposée, afin de mieux comprendre le contexte VUCA (volatility, uncertainty, complexity, ambiguity) qui caractérise la période actuelle.

Enfin, une approche diachronique est proposée afin de mettre la crise en perspective, à partir du texte And now win the peace’: Ten lessons from history for the next normal (McKinsey Quarterly, July 27, 2020, Kevin Sneader and Shubham Singhal [4]).

Les différentes notions évoquées dans les documents présentés sont des notions clés dans les domaines de la finance, du commerce et du management : stakeholder capitalism ; activist investors, socially responsible investment (SRI), Corporate Social Responsibility (CSR) and mission statements, leadership and management.

 

Catherine Resche fait le lien avec la notion de fail fast. Beaucoup d’entreprises vont faire faillite, mais leur inventivité est exacerbée par la force des choses, et cela va changer la vision des entreprises, la vision des consommateurs. Il faut savoir rebondir, avoir des idées, prendre des décisions rapides mais raisonnées aussi.

 

Michel Van der Yeught souligne le fait que, comme toujours, au sein du GT, les approches s’entrecroisent et font un effet d’écho. La présentation de Fanny Domenec recoupe ses interrogations sur l’avenir. Dans une perspective macroéconomique, il revient à l’idée que la mondialisation est fondée sur la mobilité des biens et des services, des capitaux et des personnes. La mobilité des biens et services va reprendre, la mobilité des capitaux ne pose aucun problème mais on peut anticiper une démondialisation au niveau de la mobilité des personnes. On voit difficilement comment la mobilité va continuer et Michel Van der Yeught attend donc une sorte de contraction de toutes les activités économiques liées à la mobilité des personnes (voyages, festivals, voyages internationaux d’affaires, etc.). Il prend l’exemple de Venise, jusqu’à présent très visitée par les touristes chinois et envisage la possibilité de retrouver une Venise démondialisée.

Il note l’importance de l’inventivité en situation de guerre et cela fait écho à une seconde interrogation. Le tréfonds de la logique fait écho à la théorie des jeux. Les situations de guerre nécessitent idéalisme et sens du sacrifice. Michel Van der Yeught se demande si nous n’allons pas repenser la théorie des jeux et si ne vont pas se révéler des visionnaires.

 

Marc Éline note que dans les techniques de négociation, on reconnaît ces limites à la théorie des jeux, dans la mesure où cela peut faire intervenir des émotions. Le choix de l’acteur économique individuel sera différent de ses intérêts économiques, simplement parce que c’est sa psyché ou son ego qui est touché pendant la négociation.

 

Catherine Resche fait référence à Adam Smith et à la théorie des sentiments moraux. L’auteur montre que lorsque quelque chose de terrible se passe loin, on est moins touché que dans son propre pays.

 

Michel Van der Yeught revient sur la question des stranded assets qui concerne des milliers d’avions qui consomment trop, qui vont rester cloués au sol dans des infrastructures aéroportuaires qui vont être complètement superfétatoires. Le secteur automobile est également concerné.

Il revient également sur les textes cités par Catherine Resche et évoque Tocqueville dans « De la démocratie en Amérique ». Le Covid19 est un « great equalizer », qui nous met tous dans la même situation. Cela peut stimuler les idéalistes qui comprennent les souffrances de l’humanité et soutiennent les médicaments.

 

Marc Éline souligne la différence entre des flottes d’avions qui vont se déprécier très rapidement et les flottes militaires et spatiales qui vont se développer très rapidement. Entre les avions, les drones de combat, les systèmes d’intelligence artificielle (IA) et la conquête de l’espace qui ne fait que recommencer, on n’en voit pas la fin, tout comme dans les secteurs de l’électricité et de l’hydrogène.

 

Mathilde Gaillard mentionne le développement de tous les modes de transport alternatifs, dont les hyperloops.

 

Laurence Harris propose une intervention sur la communication de crise des banques centrales au temps du Coronavirus. Elle prend pour exemple la Banque d’Angleterre (Bank of England ou BoE) et l’assouplissement quantitatif (Quantitative Easing ou QE). La BoE semble débordée de sa mission initiale. Elle annonce un ajustement de la dernière phase de QE pour prendre en compte le changement climatique, ce qui crée une controverse : le politique pend-il la main sur la BoE, a priori indépendante ? Elle fait référence à un rapport de la BoE* sorti en janvier 2021 (mais commandé en juillet 2019) qui évalue la compréhension du QE et la communication de la banque centrale sur ce sujet. Ce rapport revient sur le mécanisme de transmission du QE. La BoE rachète des bons du trésor sur le marché secondaire : c’est de là que vient la pression de certains médias pour que la BoE puisse favoriser la transition vers une économie sans carbone. Jusqu’à récemment, la BoE ne prenait pas en compte ce genre de critères. Une recherche des cooccurrences de « QE » dans la presse britannique et une enquête d’opinion conduisent à se poser la question suivante : comment communiquer sur un outil non conventionnel et controversé ? Les termes « inject money», « creating digital money », « printing banknotes » sur les pages de son site destinées au grand public (KnowledgeBank), sont relevés par le rapport indépendant comme étant susceptibles d’induire en erreur. Il est recommandé davantage de simplicité, d’avoir recours à la narration (insérer dans un fil narratif, resserrer le cadrage) ; de construire un discours permettant aux personnes de s’identifier (« relatable ») ; de mettre l’accent sur les retombées macroéconomiques positives du QE, en évoquant des exemples réels, comme le soutien à l’emploi dans la dernière phase du QE (« furlough ») ; d’user de la répétition (marteler le message, sinon les gens oublient au bout de 3-6 mois). Les questions du public ne trouvent pas toujours de réponse sur le site ou lors des échanges avec le gouverneur de la BoE. Laurence Harris prolonge ces questions avec la compilation d’un corpus Covid qui lui permettra d’établir une comparaison entre trois banques centrales : la Fed, la BCE, et la BoE.

 

Michel Van der Yeught conclut sur le fait que Catherine Resche a évoqué Adam Smith et qu’il a évoqué Tocqueville. Ce qui nous frappe dans la période actuelle c’est qu’on est dans le nouveau et dans l’humain très ancien. Il y a un brassage de l’innovation et de l’hyper traditionnel. Les situations intermédiaires de prudence sont mal acceptées par la population mais on remarque également la perte d’une notion essentielle dans la population : la patience, qui est aujourd’hui, complètement oubliée. Michel Van der Yeught fait référence à Fabius Cunctator, un général romain qui refusait constamment le combat… et a fini victorieux lors de la deuxième guerre punique. Cependant, Michel Van der Yeught pense qu’il ne pourrait plus gagner aujourd’hui. Les solutions peuvent consister à retomber sur des attitudes très anciennes et très humaines. Le storytelling permettrait d’adapter le mythos grec à la période actuelle.

 

La séance est levée à 16 h. Un message sera envoyé aux membres du GT pour définir le thème, la date et le lieu du prochain GT.

 

[1] Tous les documents mentionnés peuvent être trouvés sur le blog de Séverine Wozniak

[2] https://www.mckinsey.com/featured-insights/coronavirus-leading-through-the-crisis/charting-the-path-to-the-next-normal/covid-19-recovery-in-hardest-hit-sectors-could-take-more-than-5-years

[3] Covid-19: Why the economy could fare worse than you thinkThe Economist, May 27, 2020

[4] <https://www.mckinsey.com/featured-insights/leadership/and-now-win-the-peace-ten-lessons-from-history-for-the-next-normal>